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  • Photo du rédacteurAlice Martin

De Kars à Adana: pour finir en beauté, le Kurdistan turc

Dernière mise à jour : 23 déc. 2022


Les deux dernières semaines de mon voyage, je pédale dans l'Est de la Turquie, du Nord au Sud. L'Est de La Turquie fait partie du Kurdistan (qui regroupe des territoires turques, iraniens, irakiens et syriens), et abrite donc en grande majorité une population kurde.

De ces deux dernières semaines de voyage, j'en retiens qu'elles seront surtout un condensé des meilleurs moments et des ceux moins bons qui caractérisent un voyage à vélo.


Les quelques jours à traverser le Nord-Est sont plutôt mitigés. L'arrivée à Kars le 29 Novembre marque le début de plusieurs jours de mauvais temps, avec notamment une épaisse et persistante chappe de nuages qui empêche toute vue le long de la route, alors même qu'on est sensées avoir de super points de vue sur le Mont Ararat. Celle-ci s'accompagne d'une forte humidité, et de manière intermittente, de pluie et de neige.

Cette météo, on y prête tant attention, car le sort (et la bonne humeur) du cyclo-voyageur - qui vit dehors - est fortement dictée par celle-ci: à températures égales, quelle énorme différence entre une journée radieuse et ensoleillée, et un temps pluvieux du matin au soir !


Finalement, c'est la première fois que je me dis: "Mais qu'est ce que fous là, à pédaler sous le froid, le vent, l'humidité, sous une grosse route ennuyeuse, sans vue?". Alors, je prends une décision soudaine, celle de programmer mon retour en France: ce sera pour le 15 Décembre, avec un vol retour depuis Adana, la cinquième plus grande ville du pays, située à l'embouchure est de la cote sud de la Turquie.


Dans ces conditions, on est guère tentées par des nuits de bivouac, et on alterne entre nuits à l'ogretmenevi (ces fameuses maisons de professeurs, gérées par l'éducation nationale, présentes dans toutes les villes, et qui font des hôtels à très bon rapport qualité-prix), et nuits chez des hôtes couchsurfeurs. Avec de plus ou moins bonnes expériences...

Alpay à Kars, et deux jours plus tard, Mehmet à Doguyabazit sont très sympas à premier abord, chacun à leur manière.

Alpay, guide de montagne et francophile, nous invite à une soirée avec son club de conversation de français: je n'ai pas la motivation pour sortir ce soir-là, mais Adèle y va, où elle expérimente les néfastes de l'endoctrinement du gouvernement turc: la professeur de français est en déni complet du génocide arménien et traite les kurdes turcs de terroristes. Quant à Mehmet, il nous offre le diner chez lui, arrosé de bière et de keni ravi (son alcool turc préféré, qui ressemble au gout à du pastis).

Mais à mesure qu'on fait leur connaissance et qu'on sympathise, il semble qu'un malentendu finisse par se créer, notre sympathie leur suggérant qu'on est "open": et oui, il faut bien la draguer la petite occidentale, malgré le fait que le mot "husband" ou "boyfriend" ait été prononcé plusieurs fois dans la conversation... Il y a des baffes qui se perdent!



Kars, sous la neige

Du brouillard, de la neige, de l'humidité... Et surtout pas de vue alors que...


... Voici le genre de vues qu'on devrait apprécier (photo d'une autre cycliste française passée quelques semaines auparavant)


A Digor, après Kars, après quelques heures à pédaler sous la pluie et le froid, on attend avec impatience de pouvoir s'abriter à l'ogret-menevi. Mais non pas possible, celle-ci n'a plus de place (je decouvrirai par la suite que c'est souvent le cas dans de nombreuses ogret). Et dans ces cas-là, autant le service dans les hotels traditionnels est toujours impecable, sympathique et aidant (les turcs aiment se mettre en 4 pour trouver des solutions), dans les ogret, on sent la manne gouvernementale, et c'est plutôt "pas de place et maintenant partez!".

Sympa l'accueil: Digor est une de ces villes qui fait froid dans le dos. Quand j'attends Adèle dans le centre-ville, j'ai encore la sensation désagréable d'être la bête de foire, entre les enfants qui crient "turist, turist!" en me montrant du doigt, et le restaurateur, qui après avoir tenté un petit flirt bien vain, me fait payer un prix prohibitoire pour mon plat du déjeuner.


Alors vite, il faut déguerpir de cet endroit, trouver un autre logement pour la nuit: alors, on triche un peu, on sort le pouce et on fait du stop jusqu'à la prochaine ville, Igdir, où ouf, cette fois l'ogret-menevi a une chambre de disponible.


Mais il suffit de pas grand chose pour que la chance tourne, pour se réconcilier avec l'hospitalité turque et enfin apprécier certaines beautés du Nord du Kurdistan turc.

Le 2 décembre, malgré une forme très moyenne due à une bonne gueule de bois après ingestion de trop de keni ravi offert par Mehmet (et oui, mince j'ai un faible pour le pastis...), je gravis tant bien que mal une côte pour admirer le Palais d'Ishak Pasha, situé sur les hauteurs de la ville de Doguyabazit.


Un magnifique palais et depuis la forteresse voisine, une vue surplombante sur le monument et les montagnes alentours à travers les quelques éclaircies. Et puis, ça y est, une belle rencontre! Mehmet, le propriétaire du restaurant du coin, me propose de rester dormir pour la nuit. Et là, je me sens en sécurité, et à l'abri d'une quelconque ambiguité et de potentielles avances, car Mehmet a l'âge d'être mon grand-père, et a en plus perdu récemment sa femme d'un cancer, dont il parle encore avec vive émotion.








Le palais d'Ishak Pasha et ses alentours



Alors même si mon corps, épuisé après une série de mauvaises nuits successives et affaibli par les restes d'alcool, ne rêve que de retourner avec Adèle faire une grosse sieste à l'ogret-menevi, ma tête me dit de me laisser tenter par cette hospitalité bienveillante dans ce lieu majestueux. Mehmet a bien réussi, il me parle de tous ses business: ce restau, qu'il a du faire reconstruire après que le gouvernement d'Ataturk l'ait détruit (n'appréciant pas sa licence de vente d'alcool), son complexe hotelier pas loin de la frontière iranienne et sa compagnie de guides, qui propose l'ascension du Mont Ararat.

A défaut d'avoir eu des vues panoramiques du sommet sur la route, j'ai donc le droit à des photos de son ascension, dont récemment celle d'un groupe uniquement féminin, en solidarité avec les femmes iraniennes et les évènements récents survenus en Iran.

C'est un plaisir pour lui de briser sa solitude de veuf et de m'inviter d'abord à déjeuner, puis diner, puis enfin pour un petit-déjeuner le lendemain.



Avec Mehmet



Ambiance au petit matin, avec le palais qui se détache de la mer de nuages


Une autre belle rencontre est celle de ce couple de touristes, Claudia at Lino, respectivement belges et italiens qui me prennent en stop le lendemain pour avancer ma route plus rapidement jusqu'à Van, et son fameux lac. Ils sont les guides d'un groupe d'une vingtaine de camping-car allemands, qui parcourent le Caucase et le Moyen-Orient.

Je suis notamment revigorée par l'énergie et l'enthousiasme de Claudia, qui s'extasie constamment devant la beauté déconcertante du paysage (on est de retour sur un paysage de beaux plateaux enneigés), qu'elle photographie de manière compulsive.





Journée stop avec Claudia et Lino


Mais arrivée à Van, c'est de nouveau le coup de blues, et le voyage en dents de scie. Je déteste tout de suite la ville, impossible à circuler à vélo, bien trop peuplée et bien trop bruyante. Alors, je n'aspire qu'à la quitter, et maintenant que je suis seule (on s'est séparées la veille avec Adèle), reprendre de vraies bonnes journées de vélo avec un nombre conséquent de kilomètres, et où je retrouverais enfin le plaisir de bivouaquer, après la frustation des derniers jours où j'ai trop peu pédalé, et trop dormi dans des endroits urbains surchauffés.

ça tombe bien, le lendemain, la météo est supposée être au beau fixe, et je devrais trouver un cadre de rêve pour bivouaquer le long du lac Van.


Mais le sort en a décidé autrement, et mes plans ambitieux de vélo sont contrecarrés par une violente gastro qui me prend en pleine nuit (et où je suis donc bien contente d'être dans une chambre d'hotel seule, avec une belle salle de bain à proximité). Je sens que c'est viral, alors que la fièvre me prend. Moi qui ne tombe jamais malade en France, toutes ces séries de mauvaises nuits m'ont affaibli (comment dormir, quand on t'offre/impose constamment des tonnes de verre de thé, qui t'excitent et t'empêchent d'éteindre ton cerveau?), et m'ont fait chopper le premier virus à proximité. Je passe donc la seule journée avec météo radieuse depuis mes 8 jours de retour en Turquie, allitée dans ma chambre d'hotel, bien frustrée, et en espérant que cela ne dure pas...


Finalement, cet incident est là où j'atteins "le fond du trou", et le reste de mon épopée se révélera être une série de bonnes surprises.

Au final, cette journée de repos m'aura fait beaucoup de bien, et je repars dès le lendemain bien revigorée pour pédaler le long du lac Van.




Vue depuis la forteresse de Van

Le long du Lac Van


La météo est de nouveau très moyenne, et donc non, je n'ai pas le droit à la nuit de bivouac révée le long du lac... Mais bien mieux: une nuit dans une maison toute chaude, avec la merveilleuse hospitalité d'une famille kurde.

En effet, quand en fin d'après-midi, la neige se met à tomber, je décide de tenter de me faire accueillir dans une mosquée pour dormir, dans le prochain village. Mais quand je pose ma demande aux villageois, ceux-ci, après un conciliabule, décident que je logerai dans la famille du maire à la place.


Je passe donc la soirée en compagnie du maire Fahik, sa femme Dilsha, leur fils Mehmet, les deux soeurs de Dilsha, Maryam et Nazli, leur amis, et leurs parents.

C'est le début de la découverte d'une merveilleuse hospitalité, que je détaillerai plus tard.





Mes hotes kurdes à Alacabuk


La traversée du Lac Van me prend 2 jours de vélo et j'arrive de l'autre côté, dans la ville de Bitlis, le 6 décembre, en même temps qu'une grosse tempête de neige. Cette fois, je suis accueillie par Tarik, un homme d'exactement mon âge qui loge chez ses parents. Si ceux-ci vivent dans la tradition kurde (ce qui implique encore une fois une très bonne hospitalité: la maman se met en quatre pour m'offrir un bon diner), Tarik est très moderne: il a notamment passé 6 mois en Erasmus en Allemagne, a beaucoup voyagé en Europe occidentale et parle un très bon anglais. Il me dit qu'il est athée (même s'il n'ose pas l'avouer à ses parents), qu'il considère qu'il y a un gros problème de familles kurdes bien trop nombreuses (les familles ont en général autour de 7 enfants), et pour lui ce sera un enfant, grand maximum!




Le long du lac Van, le deuxième jour.


Malgré les récentes bonnes rencontres, il me reste un problème: cette foutue météo. Alors qu'il me reste que 8 jours de vélo avant de rentrer en France, ai-je envie de continuer à pédaler sous les nuages, la pluie et la neige? Et puis, à quoi cela sert d'être dans des zones montagneuses, si les sommets sont constamment cachés sous une épaisse couche de nuages?

Je prends donc la décision soudaine d'accélerer mon itinéraire par un bus qui me ménerait directement au Sud du Kurdistan turc, où il devrait faire meilleur. Mais le lendemain, petite déconvenue: le bus en question est un mini-bus qui ne prend pas les vélos. Qu'à cela ne tienne, contrairement à ce que les prévisions annoncent, il fait grand beau, alors pédalons!


Et alors que l'itinéraire que je choisis dans ce changement de plan de dernière minute pour atteindre la ville de Midyat est tout de suite bien descendant, je suis rapidement plongée dans des paysages et un climat bien différents. J'atteins finalement la prochaine grande ville, Siirt, située en haut d'une cote, en T-shirt (!).







Changement de décor


Le soir, les températures bien plus douces et le beau temps me permettent d'enfin ressortir ma tente, après presque 10 jours d'abstinence. Je plante celle-ci dans un lieu assez majestueux, qui surplombe le canyon de Botan. Après toute ces nuits où j'ai vécu au rythme de mes différents hôtes, souvent gavée comme une oie avec de la nourriture sophistiquée (j'ai vite compris que mes hôtes, surtout les femmes d'âge mures souvent un peu rondouillardes, me trouvaient bien trop menue, et tenait à ce que j'avale toujours des triples portions), je redécouvre le plaisir d'un repas simple cuisiné au rechaud, le coucher à l'heure que je veux, et la simple tisane, à la place des multiples cays qui me tiennent en éveil toute la nuit.




Bivouac au dessus de Botan Canyon


Maintenant que je voyage de nouveau seule et étant sur un timing pour tenter d'explorer un maximum de territoire dans les quelques jours restants avant mon retour en France, je me lance dans d'ambitieux itinéraires journaliers. Pour atteindre Midyat, une ville au sud du Kurdistan réputée pour la beauté de son vieux centre-ville, j'ai choisi un itinéraire peu classique, qui reste vers l'Est, en passant proche du Kurdistan Irakien. Avec celui-ci, j'espère éviter les grandes routes à 4 voies turques, qui bien que peu fréquentées dans l'Est de la Turquie, je les trouve ennuyeuses et souvent trop plates. Au contraire, l'itinéraire prévu est bien vallonné, et passe par une petite route secondaire qui devrait être bien aventureuse... En deux jours, j'ai prévu de faire 180km, avec pas moins de 4000m de dénivelé.

Alors, avec les jours qui raccourcissent, il faut partir tôt, pédaler comme une malade, faire peu de pauses (malgré toutes les invitations au cay: même par les militaires bourrés d'artillerie qui peuplent les checkpoints militaires du kurdistan turc, symboles de la tension qui règne dans cette région).










Mais à trop vouloir planifier, on oublie que chaque journée de vélo réserve son lot de surprises... et qu'en général, rien ne se passe tout à fait comme prévu!

La journée du 8 décembre est finalement un condensé de toutes les facettes du voyage à vélo: des défis sportifs, de l'aventure, des erreurs, des échecs, mais aussi de belles rencontres et des paysages qui valent le détour.

Depuis les environs de Siirt, une cinquantaine de km me séparent de la prochaine ville, Eruh; d'où part l'itinéraire secondaire qui permet de rejoindre Midyat via une petite route de montagne. Je pédale face à de jolis canyons, mais qui me font faire les montagnes russes: non, le plat n'existe pas, j'enchaine séries de montées et descentes bien raides, et je m'estime donc bien heureuse d'atteindre Eruh vers 13h.


C'est parti pour enchainer sur cette petite route de montagne dans les 4 heures de jours restants: je sens déjà qu'elle sera bien aventureuse, alors que les gens d'Eruh me conseillent bien sur de prendre la grande route.

Mais celle que j'emprunte est pour l'instant bien praticable, et de toute beauté. Mais curieusement, ça descend plus que je ne m'attendais... Je mets 45 minutes pour m'en rendre compte, que parmi tout le réseau de routes secondaires des alentours, je suis sur la mauvaise route... C'était bien la peine de partir si tôt le matin, d'avaler les côtes le plus rapidement possible en tirant la langue, pour perdre tout ce temps dans un mauvais itinéraire!




Sur la mauvaise petite route


Mais tant pis, je gravis la route éronnée en sens inverse, avec l'énergie du désespoir. L'intersection où je me suis trompée d'itinéraire était pourtant celle où j'avais fait un point carto, ça veut tout dire sur mes compétences d'orientation...


Alors, vite, on repars sur la bonne route, qui est elle plus défoncée et bien grimpante. Je m'arrête au premier village, car la pendule tourne et il est déjà presque l'heure fatidique du coucher de soleil (17h). Mais là, des conducteurs de bus me stoppent net: alors non, la route jusqu'à Midyat n'est pas du tout praticable, c'est une ancienne route qui est en partie inondée.

Gros échec: voilà qu'à la fin de la journée de vélo, je suis encore moins avancée qu'en milieu de journée, puisque maintenant, la seule option, c'est de faire demi-tour jusqu'à Eruh, et de reprendre la grande route!


Heureusement, on peut toujours compter sur les turcs pour aider une cycliste dépitée. Les conducteurs de bus me proposent gentimment de me ramener en direction d'Eruh, et finissent même par me deposer une dizaine de kilomètres après la sortie de la ville, à un spot de bivouac, qu'ils considèrent comme sur, car situé derrière un restaurant.

Mais là, une nouvelle surprise m'attend: c'est l'histoire de comment je plante ma tente et finit par ne pas m'en servir, qui se produira 2 soirs d'affilée.


En effet, à peine ai-je fini d'installer mon campement que les filles du propriétaire du restaurant me disent qu'il est hors de question que je campe: à chaque fois, c'est les mêmes raisons, on me sort le mot "sur" (froid en turc) et on me dit que c'est dangereux, ici en me montrant une photo d'ours. Epuisée par cette rude journée, j'ai beau être très tentée de manger en vitesse et de m'effondrer dans ma tente, je comprends que je n'ai pas le choix, je suis invitée, un point c'est tout.



Avec une toute petite partie de la famille kurde qui m'a accueillie




Alors qu'est ce que cette fameuse hospitalité kurde? Plein de choses... Dans la campagne, en cette période hivernale, ça commence par une invitation à se mettre devant un bon feu de bois, souvent brulant, qui chauffe intensément toute la pièce principale. La décoration intérieure et le soin de la maisonnée est un élément très important de la culture, et cette pièce est souvent recouverte de beaux tapis et coussins (à l'entrée, on quitte d'ailleurs toujours les chaussures, et on sort les pantoufles pour circuler sur les tapis), qui servent à se reposer et se détendre. Cette pièce principale sert à la fois de séjour et de salle à manger. Dans la culture kurde traditionnelle, on mange les repas par terre: un tapis est apporté qui sert de nappe, et souvent un grand plateau contenant de la nourriture sous forme d'un ensemble de mini-plats à partager pour tous les convives est posé sur cette nappe. Au menu, il y a souvent le bon fromage de chèvre de la ferme (toutes les maisonnées de campagne ont en général au moins un troupeau de brebis), du yahourt, des olives, des "pickles" (par exemple des cornichons ou poivrons macérés artisanalement), quelques légumes de saison, du miel, du tahin, et pour le petit-déjeuner, parfois en plus des oeufs brouillés parsemés d'épices ou d'herbes du jardin. On déguste ces sortes de "tapas" enroulées dans du pain: le pain traditionnel kurde ressemble à des naans, mais on trouve aussi du pain qui ressemble à du lavash.

Enfin, pour la nuit, on installe sur les tapis dans la pièce principale ou les pièces avoisinantes, ces matelas et couverture fait avec de la peau et laine de mouton, et chacun dort côte à côte sur ceux-ci, à même le sol.

L'hospitalité est un élément fondamental et sacré de la culture kurde, et donc me faire inviter dans ces maisons le temps d'une soirée et d'une nuit est tout à fait naturel aux yeux de mes hotes. Et on me dit que dès je suis invitée, c'est comme si je faisais partie de la famille. Et effectivement, de par l'attention et la gentillesse de Maryam et Nazli qui m'ont hébergé le long du Lac Van, et celle de Besta et Kader à Eruh, toutes des jeunes femmes proches de mon âge, je sens naitre un sentiment fraternel. Quand à mon hote du lendemain, le chef de famille Bisar, il me dit maintenant "me considérer comme sa fille", et passera plusieurs jours ensuite à prendre de mes nouvelles sur WhatsApp, pour s'assurer que tout se déroule bien dans mon voyage.



Rien de tel qu'un bon matelas kurde pour bien dormir


La famille est un élément aussi très important chez les kurdes qui ont des familles très nombreuses: les maisonnées accueillent souvent des familles agrandies, soit constituées de plusieurs générations, soit d'un tissu de cousins/frères et soeurs. Lors des soirées, on appelle toujours les membres de la famille qui ne sont pas dans les parages, pour me présenter.

Je suis aussi surprise d'à quel point les kurdes sont plus ouverts d'esprits et moins conservateurs que les turcs occidentaux des campagnes: les femmes ont une place très importance au sein de la maisonnée et de la famille, les jeunes sont habillées de manière très moderne, et sont laissées libres de porter le voile ou non.

Ils reconnaissent aussi en général le génocide arménien, et sont soucieux du patrimoine historique arménien encore présent dans l'Est de la Turquie: le père de Maryam et Nazli est même un fan d'Arménie, et collectionne les vieux vestiges et reliques arméniens.

Les kurdes revendiquent cette ouverture d'esprit, et leurs liens et proximité avec l'Europe occidentale (qui accueille nombre d'exilés kurdes): ceci est d'ailleurs une des causes de l'oppression de ce peuple par le gouvernement turc. Car oui, alors que les kurdes aspirent tous à faire part d'une région autonome où il pourrait exprimer plus librement leur culture, ils sont source d'oppression par le gouvernement. En plus des conflits armés entre les militaires kurdes et les militaires de Turquie occidentale, la population souffre d'une plus grande précarité que le reste du pays. Nazli, jeune femme de 26 ans, bien qu'ayant fait des études d'assistante sociale, est retournée vivre dans la maison familiale, car en tant que femme kurde, elle a bien du mal à trouver du boulot.


Le lendemain, une dernière grosse côte m'attend pour rejoindre Sirnak, une ville presque à la frontière avec l'Irak, dans une ambiance de désert américain, aux couleurs ocres et rouges.






Sur la route d'Eruh à Sirnak


Dans cette région assez réculée et peu touristique, je suscite encore la curiosité, mais de manière sympathique: les enfants m'interpellent, essaient de parler quelques mots d'anglais avec moi: et avec ce public, quand on apprend que je suis française, on ne me parle évidemment plus de Charles Aznavour, mais de "M'Bappé!".



Avec une bande de lycéens à la sortie de Siirt


Je continue à pédaler énergiquement l'après-midi sur une route plus fréquentée, légèrement plus plate, mais où de mystérieuses côtes surgissent de temps en temps. J'essaie de ratrapper mon retard du aux mésaventures d'itinéraire de la veille, pour être à Midyat le lendemain midi: et ça tombe bien, ça devrait être en même temps qu'Adèle, qui y arrivera par un autre itinéraire.


Alors, il faut pédaler jusqu'après le coucher du soleil, et vite trouver la première route de terre, pour espérer planter la tente avant la nuit noire. Mais quand celle-ci mène à un petit village, j'ai la sensation que je ne finirai pas toute seule dans ma tente encore ce soir-là... Et effectivement, je suis encore invitée par une sympathique famille Kurde. Qui, sous mon insistance, me laisse planter ma tente dans le jardin: mais après m'avoir bien sur invité pour le thé, le diner, et la soirée avec les voisins curieux de rencontrer cette "touriste", finissent par me dire qu'il faut que je dorme absolument à l'intérieur.



Avec Bisar, sa femme et sa fille, autour encore d'un très bon repas!


Le lendemain, encore 75km à avaler pour rejoindre Midyat, mais sur une route quasiment plate: qu'est ce que ça va vite tout d'un coup!

Adèle arrivons quasiment à la même heure à Midyat, elle par l'entrée nord-ouest après avoir suivi l'itinéraire plus classique et plus direct, moi par l'entrée sud-est. On se retrouve avec plaisir le temps d'un après-midi et d'une soirée pour visiter la vieille-ville de Midyat, avant de se dire définitivement aurevoir le lendemain matin.





La vieille-ville de Midyat


Au programme pour moi: pédaler jusqu'au site d'Hasankeyf, consistée d'un site archéologique classé au patrimoine mondial de l'Unesco et d'une série de grottes et d'habitations troglodytiques au bord du Tigre, qui devrait faire un emplacement parfait pour ma dernière nuit de bivouac.

Le site est en cours de ré-aménagement, après que la construction du barrage adjacent l'a en partie immergé et a détruit son accès: il s'atteint par une route de terre en travaux. Quelle doit être la surprise des ouvriers de voir en si peu de temps passer autant de cyclo-touristes, après Adèle il y a deux jours et les allemands Pia et Baldur aussi récemment. Mais quand il y a des endroits qui valent le coup d'oeil, le mot se passe vite entre cyclistes!



Sur la route en travaux qui mène à Hasankeyf


Et en effet, Hasankeyf vaut le détour: son site archéologique, qui offre une superbe vue sur le Tigre et les falaises environnantes, est constitué d'un impressionnant réseau de vestiges d'anciennes habitations couvrant 9 civilisations différentes, de l'âge de bronze à l'empire ottoman.









Hasankeyf



Le lendemain, je n'ai malheureusement pas l'occasion d'accepter l'invitation au thé du seul ermite qui habite encore le site historique d'Hasankeyf (la "nouvelle" ville a été reconstruite de l'autre côté du Tigre, après que l'instauration du barrage ait immergé l'ancienne), car je suis sur un timing pour parcourir la cinquantaine de kilomètres qui me sépare de la gare routière de Batman. De là, il est temps de prendre un bus pour Adana, car mon retour pour la France approche à grands pas!



Je pose ma tente dans une des nombreuses grottes du site pour ma dernière nuit de bivouac


Mais alors que j'embarque dans le bus, en voyant tout d'un coup les kilomètres défiler bien trop vite sans que j'ai aucun effort à fournir, je sens soudain une vague de tristesse m'envahir, avec la réalisation que mon voyage touche à sa fin. Fini le plaisir de la découverte et l'aventure chaque jour, les rencontres, les beaux paysages, cette vie au final si simple rythmée simplement par les coups de pédale, et la préoccupation journalière de devoir trouver un endroit où crécher la nuit. Bientôt le retour à une vie sédentaire beaucoup plus compliquée, aux soucis du quotidien, à la pression prochaine de trouver un boulot, un logement, et j'en passe...


En arrivant le 12 Décembre au soir et en prenant un avion le 15 Décembre à 22h, j'ai finalement trois jours pleins, pour organiser mon retour.

Mon séjour à Adana est en demie-teinte. D'un côté, je résous tout de suite et facilement le problème de l'empaquettage du vélo, et je suis encore très bien accueillie par mes hôtes warm showers, Yucel et Maryam, cette dernière étant d'origine iranienne et réfugiée en Turquie depuis quelques années.

Ceux-ci organisent deux soirées avec un de leurs amis, Savas, un personnage haut en couleur. Sa vie professionnelle consiste à voyager partout dans le monde, et à y lancer des business souvent très fructueux.

Il a notamment fait fortune en important le kumpir, un plat traditionnel turc, dans d'autres pays du Moyen-Orient. Alors quand je lui dis que je n'ai jamais gouté à ce plat, ni une, ni deux, il organise une soirée cuisine, pour me le faire goûter.


Mais qu'est-ce donc que le kumpir? Une énorme pomme de terre, fourrée à des tonnes de choses: le fond contient un épais mélange de beurre et de fromage. Après, suivant les envies, les régions et les coutumes, on rajoute un peu ce que l'on veut: chez Savas, ce sera du boulgour, des champignons, des olives, du chou rouge, du mais, du tzatziki, de la crème.

Et croyez-moi, à la fin, avec tout ça, ça vous cale bien plus qu'une raclette!

Seul hic de ces soirées: elles se finissent en visionnant les matchs de coupe du monde: mes hotes pensent me faire plaisir avec le match France-Maroc, mais quel ennui (heureusement, quand je m'endors devant, le temps passe plus vite...)



Adana


La belle mosquée Sabanci Merkez, la plus grande du Moyen-Orient


Mais mon séjour à Adana, c'est aussi le retour à une météo pluvieuse, qui fait échouer mon projet d'explorer les environs à vélo (et notamment d'essayer d'atteindre la Mer pas loin). Ayant réglé très rapidement tous mes problèmes de logistique pour mon vol, je me retrouve dans cet entre-deux, où je sais que l'aventure à vélo est achevée, et j'attends de pouvoir rentrer en France.

Alors je m'imprègne de l'ambiance de la ville, comme d'habitude assez foisonnante: et je mange mon dernier donner, mes derniers simit, mes dernières patisseries turques, et boit mon dernier café turc, en imaginant déjà de futurs itinéraires à vélo, qui me feraient découvrir d'autres coins de ce vaste et contrasté pays.



Avec mes hotes Maryam et Yucel


Le fameux Kumpir



Pour terminer, comme attendu, mon voyage retour est un parcours du combattant: mon vélo, mon meilleur allié pour voyager, devient le plus gros handicap, quand il s'agit de le transporter à bord de 2 avions (j'ai une escale d'une nuit entière à Istanbul), puis un tram à Lyon, ensuite un TER Lyon-Grenoble, et un bus Grenoble-La Mure.

Et maintenant, retour à la "réalité", quoi que cela veuille dire...



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