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Photo du rédacteurAlice Martin

De Bayburt à Hopa - une rivière, des montagnes, et l’arrivée sur la Mer Noire

Dernière mise à jour : 4 oct. 2022


26 Septembre, jour 24 - Bayburt -> Ispir



Lorsque je bivouaque, je vis au rythme du soleil, qui alors que les jours raccourcissent, se couche en ce moment à 18h30 et se lève vers 6h.

En général, dès 20h, je suis dans ma tente, et après un peu de lecture, c’est dodo entre 21h et 21h30. Puis le réveil commence par le muezzin vers 5h, et j’émerge de la tente vers 6h pour le lever de soleil.


Mais ce matin-là, il fait particulièrement froid. J’ai des couches d’habits sur moi, mais le froid pique bien mes mains.

Un temps au final normal, on est en automne à 1400m d’altitude, mais je ne suis plus habituée, après le climat sec et chaud d’Anatolie... C’est donc l’heure d’aller retrouver la chaleur du duvet après le petit dej et la vaisselle qui glace les mains...


Heureusement, l’arrivée d’un beau soleil réchauffe vite et permet de tout faire sécher. Je pars finalement tard, vers 9h45.


La route continue le long de la rivière Coruh, avant de s’éloigner et prendre de l’altitude. Et pendant 25km, je me retrouve à jouer aux montagnes russes, car la route enchaîne une série de montées et de descentes, de collines en collines, dans un paysage de nouveau semi-aride.

A peine les descentes sont-elles avalées à toute vitesse, qu’il faut laborieusement remonter tout le dénivelé parcouru en descente...

Mais il faut bien traverser la muraille que forme la chaîne Pontique (le massif Anadolu en Turc) !



Les montagnes russes



Après une dernière côte, je m’autorise une pause midi. Où je prends le temps de regarder la carte: ouf, la suite de la route semble longer plus fidèlement le lit de la rivière, donc les montagnes russes devraient être finies...


Et effectivement, le reste de la journée se pédale plus tranquillement jusqu’à Ispir. La ville possède pour une fois un certain charme, avec sa belle mosquée bleue, et son château en ruine.


Ispir


iOverlander m’indique un spot de bivouac à moins de 10km de la ville, avec parait-il une vue qui vaut le coup.

Effectivement, on surplombe la rivière qui forme à ce moment-là un réservoir pour un barrage. Et de l’autre côté, un petit villages avec des collines. Tout ça sous un beau ciel étoilé, que demander de mieux ?


Une chambre avec vue


 

27 Septembre, jour 25 - Ispir -> Yusufeli


Le lendemain matin, alors que je défais mon campement, des locaux matinaux allant faire leur footing me lancent des grands «Merhaba! ».


Je reprends ma route le long de la rivière, qui est composé dans cette partie d’une série de réservoirs et de barrages. Sur l’eau calme et d’un bleu scintillant, de nombreuses piscicultures.



Je suis entre la rivière et les montagnes, et plusieurs chevreuils traversent la route à toute vitesse.


Sur la première partie, la route évite les barrages par de petites cotes qui permettent de s’éloigner du lit de la rivière, et une série de tunnels. Les tunnels sont en général les cauchemars des cyclistes: pédaler dans le noir en compagnie d’automobilistes qui peuvent plus ou moins bien nous voir est en effet toujours un peu effrayant... J’allume tous mes « phares », mais j’ai la chance que les tunnels - quoique pas éclairés - soient courts et peu fréquentés: j’ai beau être sur la route principale, je croise une voiture tous les 15/30 minutes.


J’aperçois au loin de nombreuses ruines de petits châteaux, comme celui que j’ai pu observer à Ispir.



La rivière Coruh se rétrécit ensuite, reprenant son lit plus naturel. Sur la deuxième partie, je suis entre montagnes et champs construits en terrasse.

Je fais une pause midi en barbotant dans la rivière, qui est à une température idéale pour se baigner. Mais je n’ose sortir le maillot de bain, devant les femmes au loin toutes couvertes de la tête aux pieds.





Le long de cette rivière, peu de civilisation, cela fait deux jours que je ne croise pas vraiment de villages, mais juste quelques patés de maisons, où les habitants semblent vivre d’agriculture, grâce à l’irrigation et la verdure apportée par le cours d’eau.


Par contre, il semble que la main de l’homme semble vouloir à tout prix tirer partie de cette rivière interminable, et en plus des piscicultures et barrages, de nombreux chantiers jalonnent le cours d’eau: des carrières, des nouvelles routes et barrages qui se créent, des tunnels qui se creusent... J’apprends qu’il y a au total 17 barrages opérationnels sur cette rivière, mais le projet de développement en prévoit une dizaine d’autres, en construction.




La route est un moment coupée, il semble qu’un gros éboulement entrave tout passage. La déviation me fait passer par une piste rendue boueuse par tous les travaux alentours: mais que font donc tous ces camions ?


Après environ 80km, j’arrive à Yusufeli, ville qui jaillit vraiment au milieu de nulle part, au milieu des flots de la rivière Coruh.

La ville est construite de manière autant improbable que son nom. Autour du centre-ville composé de 2 rues principales le long de la rivière, elle semble avoir été construite à la va-vite et de bric et de broc, les ruelles sont sales et souvent en terre, les bâtiments sont à moitié construits ou à moitié détruits.

Dans les faubourgs, les camions passent et repassent, occupés à tous ces travaux autour de la rivière, laissant des nuages de poussière sur leur passage.

On dirait qu’à tout moment, la ville pourrait être emportée par une crue de la rivière, ou par la main impitoyable de l’homme, qui avec son projet de barrage, menace l’existence même de la ville.


Mais face à cette précarité, Yusufeli semble déborder d’une énergie phénoménale, peut-être tirée de la rivière: dans le centre, ça foisonne autour des multiples doner et des kebabs, des salons de coiffure, des squares remplis de jeunes et d’enfants qui sortent de l’école quand j’arrive.



YUSUFELI


Yusufeli est une étape importante, car de là, part une route qui m’amènerait vers l’approche d’un autre sommet que j’ai repéré, le Kackar Dagi, situé aussi à plus de 3900m d’altitude.


Mais pour y aller, c’est un peu plus la mission que pour le Erciyes Dagi: il faut d’abord atteindre le petit village d’Olgunlar, point de départ pour le sommet, situé à plus de 50km de Yusufeli via une route qui ne fait que monter (Yusufeli est à 600m alors qu’Olgunlar est à plus de 2100m d’altitude), et à priori très peu goudronnée.


Je décide donc de m’arrêter au camping de Yusufeli (en fait l’arrière-cour d’une auberge), demander plus d’informations et voir ensuite si je me lance dans l’aventure.

Les tenanciers du camping parlent un peu anglais: le jeune à la réception me dit qu’il ne sait pas si la route pour aller à Olgunlar est bitumée, mais que ça risque d’être difficile et que je vais sûrement devoir pousser mon vélo.

Le proprio du camping-hotel, qui a l’âge d’être son père, me dit qu’il est allé à Olgunlar il y a quelques jours en voiture et qu’à priori la route est ok, même si ça dépend des jours.

Mais Il faut toujours faire confiance aux anciens... Ça, c’est une bonne nouvelle, si la route est praticable en voiture, elle l’est aussi avec mon vélo !


Je décide néanmoins de me délester pour affronter toute cette montée (attention me dit le proprio c’est plutôt 60km de montée pour aller à Olgunlar, malgré ce que dit la carte), et prépare mes deux sacoches avant avec seulement l’essentiel: nourriture, réchaud, vêtements chauds, matelas (mais pas duvet), couverture de survie, matériel réparation vélo, trousse à pharmacie, et ma tente.


 

28 Septembre, jour 26 - Yusufeli -> Olgunlar


Je pars le lendemain matin assez tôt, vers 8h, pour avoir une bonne journée devant moi pour affronter cette fameuse route et montée.

Les premiers kilomètres sont un peu mouillés - je longe le lit de la rivière et ça déborde un peu, mais sinon la route est bitumée et plutôt bonne. Je me sens super légère, et j’avance à un bon rythme.


La route suit les gorges de la rivière, en montant doucement, dans un paysage de plus en plus verdoyant et montagneux. Quelques hébergements touristiques et hameaux jalonnent la route.



Peu après le début de l’Altiparmak road, qui marque le début de l’entrée dans le parc (national?) du Kackar Dagi, je croise un petit village avec quelques market, puis un chien se met à me suivre gentiment pendant quelques kilomètres, comme s’il demandait « mais où va tu donc ? ».

Apparement, pas au bon endroit... Lors d’une pause, je regarde la carte et me rend compte que je suis sur la mauvaise route ! J’ai loupé une bifurcation, heureusement à seulement quelques kilomètres de là, qui devait me faire continuer sur l’altiparmak road...



Demi-tour donc, au final j’aurais fait 150m de déniv et 4 kilomètres en trop, je suis plus à ça près...


Lorsque je retrouve la bifurcation, correspondant au trentième kilomètre depuis Yusufeli, la route devient tout de suite non bitumée. Mais elle est facilement circulable à vélo, on voit que la route est entretenue pour pouvoir accueillir des voitures, les parties les plus cabossées sont recouvertes de petites langues de bitume.


Et ça grimpe tout doucement, donc j’en bave pas trop, surtout avec mon chargement léger.


Cette partie non bitumée est plus sauvage, les gorges de font plus impressionnantes, et il y a très peu de civilisation.



Quelques petits ponts, certains simplement des ponts de singe permettent d’accéder de l’autre côté de la rivière, menant parfois à des petits champs cultivés.

J’aperçois d’ailleurs une petite maisonnette au bout d’un pont de singe, où vit un couple, avec quelques brebis et vaches.



De temps en temps, d’autres pistes de terre s’élèvent en hauteur, où souvent traînent des zones de travaux, des camions et des engins de déblayage, véhiculant des nuages de poussière sur leur passage.


C’est une route à éboulis, et il faut parfois se méfier des chutes de pierre, mon casque de vélo n’est donc pas là pour rien.


J’atteins le village de Yaylayar, situé quelques kilomètres avant Olgunlar, et dernier point de ravitaillement possible. La route monte dans le village, signalant que les derniers kilomètres vont être plus sportifs.

Et en effet, déjà je me complique la vie en voulant prendre un raccourci dans le village, mais peu pratique à vélo, donc je dois pousser ou parfois même porter ma monture. Et effectivement, les 3km restants jusqu’à Olgunlar sont plus grimpants, sur une route un peu plus cabossée.


Vers 16h, j’arrive à Olgunlar, ouf ! Quelques maisonnettes dans ce hameau, qui semble vivre de l’élevage de brebis et vaches en alpage. Il y a quand même un hôtel, le Kackar pansion et un café-restaurant, qui a apparement de très bonnes revues sur Google.


Je m’attable au café-restaurant, situé au bout du village, juste à l’endroit où commence le sentier de randonnée pour le Kackar Dagi, et commande un cay.

La proprio a l’air très gentille, j’en profite pour lui demander des renseignements sur l’hébergement. Apercevant ma tente, elle me dit que je peux camper juste au dessus. Une bonne nouvelle, car je suis presque sure que le Kackar pansion est bien cher... Je lui demande si elle pourra garder mon vélo le lendemain, en lui disant que je reviendrai dîner ce soir. Arrangement trouvé !


Olgunlar


J’ai donc un bel endroit pour bivouaquer, j’économise le prix d’un hôtel onéreux (enfin dans les standards turcs), mais à quel prix ? En effet, la nuit à 2150m d’altitude risque d’être froide et rude, n’ayant pas amené de duvet...


J’installe mon campement, puis revient dîner au café-restaurant au moment où la nuit tombe. Pas des tonnes de choix sur la carte, pour changer du traditionnel cofte, je tente un nouveau mets, le « Milhama », et commande en plus des frites, il faut être sûr que je prenne assez de forces pour la longue marche qui m’attend le lendemain.


Le Milhama se révèle être une sorte de polenta qui trempe dans du beurre, et qui a un peu la consistance de la fondue, et que je mange donc avec du pain. Avec ça et les frites, j’ai ma dose de gras pour reprendre de l’énergie avant la rude nuit et journée qui m’attendent...


Quand je regagne mes penates, i.e ma tente, je mets sur moi plusieurs couches de vêtements, sous-pull mérinos, polaire et doudoune, rentre le plus possible dans mon drap-sac et rajoute la couverture de survie par dessus. On verra bien à quel point j’aurai froid...


 

29 Septembre, jour 27 - vers le Kackar Dagi


Je passe effectivement une mauvaise nuit, il fait pas si froid (mon eau aura pas gelée pendant la nuit), mais juste assez pour me tenir éveillée.


Le lendemain, le réveil dans le froid est un peu brutal, je sens que je manque d’énergie avec le manque de sommeil, mais il faut y aller. Le temps de cuisiner le petit déjeuner, de démonter mon campement et de cacher ma tente et mes sacoches, je pars vers 7h10.


Le sentier suit d’abord un fond de vallée qui paraît interminable: il me faut environ 2h15 pour atteindre l’emplacement du camping, qui est presque au bout de la vallée. Là, petite déconvenue, alors que le topo indiquait qu’il y avait de quoi se ravitailler en eau, les trois robinets que je trouve sont à sec. Il va donc falloir faire avec un seul litre d’eau !



Encore plus d’1h pour atteindre le lac Deniz Golu, situé vers 3000m. Là, une tente plantée au bord, exactement la même que la mienne, la MSR hubba hubba. D’autres touristes !



A partir du lac, on quitte le sentier, et commence un long pierrier, bien cairné, même si les cairns sont pas toujours judicieusement placés.


J’arrive ensuite à un col, où il faut redescendre 70m sur une sente enneigée, il faut donc y aller doucement pour éviter de glisser sur les bandes de neige.


S’ensuit une traversée d’une moraine, puis le zigzague au milieu de dalles, sur lesquelles on marche dessus, en mettant parfois les mains. De nouveau un pierrier, mais je perds tout d’un coup la ligne de cairns: pas si facile de repérer ceux-ci dans le vaste pierrier !



Tant pis, je continue tout droit et atteint une sorte de col, vers 3600m. De là, je vois au loin les propriétaires de la tente en train de redescendre. Je suis donc bien sur la mauvaise route, puisque je ne les ai pas croisés. Devant moi, une longue Arête qui me paraît être plus de l’Escalade que de la rando.


Je redescend au dernier cairn que j’avais vu, alors que l’heure tourne, il est déjà midi et demie. Je prends le temps de manger un morceau avant de décider de la suite.

Il me reste encore plus de 350m de dénivelé à faire dans ces pierriers, je ne vois toujours pas comment les cairns continuent, même si j’imagine que le sentier contourne par la droite la longue arête, avant de monter bien raide jusqu’au sommet.


Mais au vu de l’heure, alors qu’en plus le ciel est un peu menaçant, je décide de faire demi-tour. Une petite déception, mais c’est plus raisonnable, sachant qu’il me faut aussi ce soir, avant l’arrivée de la nuit à 18h30, redescendre en vélo le plus possible dans la vallée pour bivouaquer à un endroit où j’aurais moins froid. J’aurais du partir 2h plus tôt si je voulais aller jusqu'au sommet !


A gauche, le col ou je me suis arrêtés, à gauche le probable sommet. En bas, après le pierrier, les sortes de dalles.


En redescendant, je tombe sur le couple qui a la tente, qui m’ invitent à prendre le café. Ils sont deux jeunes israéliens, voyageant en Turquie pendant 1 mois avant le début de l’année scolaire, en faisant surtout de la rando.

Les premiers touristes que je croise depuis la Cappadoce, et les premières personnes avec qui je peux parler anglais facilement, sans l’aide de Google Translate depuis Matthias, ça fait du bien !



Ils me regardent comme si j’étais folle quand je leur dit que je suis partie d’Olgunlar ce matin à 7h15, alors qu’eux mêmes sont partis du lac à 7h. Ils s’arrêtent de nouveau au lac pour la journée, avant de repartir pour une autre rando le lendemain. Ils ont bien raison de prendre leur temps, ça me paraît la bonne manière de faire, même si c’est avec ma logistique de cycliste, c’est plus compliqué.

Je remarque d’ailleurs finalement que le topo camp 2 camp indique 2 jours pour faire le sommet...


La longue descente est bien casse-pattes, et j’arrive finalement vers 16h30 au café d’Olgunlar, bien fourbue et en même temps que quelques gouttes de pluie. Le temps de recharger les batteries autour d’un cay et d’une pâtisserie et de remercier les tenanciers, et me voilà répartie à vélo, avec l’objectif de descendre le plus possible en altitude pour camper.


La piste non bitumée est en fait plus pratiquable à la montée qu’à la descente, je ressens bien les vibrations sans suspensions, mais il faut faire avec.

J’installe finalement mon campement à 1300m d’altitude, en espérant bien moins souffrir du froid la nuit à venir...


 

30 Septembre, jour 28 - retour à Yusufeli


La nuit à 1300m est effectivement plus chaude; c’est plutôt le bruit de la rivière qui gronde à cote de moi qui m’empêche cette fois de bien dormir.


Je redescends tranquillement en vélo en direction de Yusufeli, avec une certaine nostalgie de quitter cette belle vallée, sauvage et avec du potentiel, puisque de nombreux sommets entourent le Kackar Dagi. C’est décidé, j’y retournerai un jour les skis au pieds !


Je fais un petit détour pour visiter le monastère de Barhal, malheureusement que l’extérieur, celui ci est fermé.



Une fois arrivée à Yusufeli, une demie journée de repos m’attend, avant de reprendre la route le lendemain, qui ne sera pas de trop !

J’en profite pour goûter mon premier kebab turc: ici, on ne sert pas le sandwich, mais juste la viande en copieuse quantité, avec le pain et les crudités à côté.


 


1er octobre, jour 29 - Yusufeli -> Artvin



Le 1er octobre au matin, je prends mon temps, profitant du relatif confort du camping, son sofa un peu défoncé et du wifi.

Mais vers 8h45, au moment de partir, le proprio est toujours pas levé pour pouvoir payer ma nuitée. Alors j’ouvre doucement la porte de ma réception, où il dort bien profondément sur un canapé, la télé encore allumée de la veille, met sur le bureau un billet de 100 lires avec un mot et récupère la monnaie dans l’espèce de tirelire qui sert de caisse.


Gule gule Yusufeli !


La route qui quitte Yusufeli en direction d’Artvin commence par une bonne cote à 10%. Super comme échauffement !

Puis par un tunnel qui dure presque 4km (les longueurs des tunnels sont annoncés juste en amont de ceux-ci): en plus des phares, il est temps de sortir le gilet jaune !

Celui-ci est bien éclairé, mais débouche tout de suite sur un deuxième tunnel... Puis un troisième, quatrième... Fais-je passer ma journée dans le noir ?



Mais oui, c’est bien ça, j’enchaîne pendant 27km, 17 tunnels, à peine séparés de quelques dizaines de mètres ! Incroyable, mais il faut bien passer ces montagnes d’une manière ou d’une autre... Cela m’évite au moins des montées, mon ayran acheté le matin reste au frais, et mon chocolat ne risque pas de fondre...


Après les 27km, les tunnels sont plus espacés, j’ai l’occasion d’avoir de beaux panoramas sur la rivière Coruh, que j’aurais suivi en vélo presque de sa naissance à son point de chute dans la mer noire, près de Batumi en Géorgie. Le cours d’eau Coruh (c’est le nom turc, Chorokh en anglais) est qualifié de rivière, mais ses nombreux réservoirs lui donnent parfois des allures de lac, et la taille de son lit parfois des allures de Fleuve.



Au moment de ma pause midi, après 46km, j’en suis déjà à 24 tunnels.


L’après-midi, au détour de la route, j’observe des “camisii”, sorte de trois mini-mosquées. L’inscription donnant des explications sur le lieu est en turc, ça reste donc mystérieux.



J’arrive à Artvin vers 15h, après 74km contenant exactement 40 tunnels, le plus long faisant 4.5km et le plus court 200m.


Artvin est bâtie tout en hauteur près d’un barrage. Au loin, en haut, traîne la statue d’Ataturc. J’aurais le temps de visiter la ville, mais sa verticalité m’en dissuade: bien trop de grimpette à faire en vélo, avec en plus un vent de face qui souffle.

J’approche quand même le château en ruine (encore un!), une mosquée un peu atypique, et je trouve la pâtisserie du coin pour le goûter.

Je me fais arrêter par un vieux qui veut me faire la causette, puis par des enfants, qui - va savoir pourquoi - comprennent tout de suite que je suis française, me demandent quelle est la monnaie en France et s’ils peuvent donc voir des euros. Je leur montre un billet de 10 euros, et ils me disent, tu es française, tu as de l’argent, donne en nous ! Non mais oh !


Artvin, son château en ruine, une mosquée caractéristique encore en pierre, et son barrage.



Je continue ensuite ma route, à la recherche d’un lieu de bivouac. Après une quinzaine de km sur la route principale (tout de suite bien plus fréquentée depuis que j’ai dépassé Artvin) et encore une dizaine de tunnels, je prends une route secondaire, et finit par trouver un spot plutôt pas mal sur une crique, à l’orée de la rivière.




 

2 octobre, jour 30 - Artvin -> Hopa



Ma journée commence par une expérience culinaire pour le petit-déjeuner. Hormis les pâtes, tout les féculents se vendent en paquet d’au moins 1kg dans les supermarchés.


Que faire donc quand j’ai 1kg de polenta à écouler et plus de flocon d’avoine ? Tenter un mélange à base de polenta pour le petit-dej; après tout, c’est ce que faisait régulièrement les américains avec qui j’ai voyagé un moment en Amérique du Sud. Ce mélange sera donc composé de polenta, de ce que je pensais être une mini tablette de chocolat, mais s’est révélé être une sorte de kit-kat (pas bien grave, ça fera encore plus de calories), un mélange de graines et fruits secs qu’il me reste, et un peu de cannelle - pourquoi pas, je suis plus à une incongruité de saveur près.

Au final, c’est pas si mauvais, bien bourratif, même si je ne mangerai pas ça tous les jours !


Le petit dej de la mort : polenta, kit-kat, mélange de graines et cannelle


Ma destination de la journée, Hopa, au bord de la Mer Noire, et dernière vraie ville avant la frontière avec la Géorgie, où je ferai quelques jours de pause.

Celle-ci n’est pas si loin, donc je décide de suivre un itinéraire original pour éviter un moment la grande route. Celui-ci est dans la poursuite de la route secondaire que j’ai emprunté pour trouver mon spot de bivouac, passe par une série de villages perchés en hauteur sur la ligne de crête qui surplombe la rivière, avant de redescendre vers une autre rivière, et de rejoindre la grande route, via la ville de Borcka.

Ça fait un bon détour, tant en terme de kilomètres, qu’en dénivelé accumulé. Je vois déjà bien que le premier village que j’aperçois, Tutunculer est bien en hauteur par rapport à où je suis. Même l’option vélo de maps.me n’ose pas me proposer cette intinéraire, m’incitant à retourner tout de suite vers la route principale.


Et effectivement, la route grimpe fortement en lacets, et je dois au début pas faire plus de 5km/h. Mais une première récompense m’attend lorsque j’atteins le village en question: un figuier avec de délicieuses figues, mûres à point. De quoi reprendre de l’énergie !


Ça grimpe en lacets


Dans ce petit village rural, on est occupé à transporter le foin, ou à couper du bois pour l’hiver. Les habitants me regardent cependant avec des yeux ronds: que fais-t-on cette cycliste perdue dans les hauteurs, au lieu d’être sur la route principale ?


Le plus dur est presque fait quand j’ai atteint Tutunculer, puisque j’ai déjà pris beaucoup de hauteur.

Le reste de l’itinéraire est quand même bien vallonné, avec en plus une partie non bitumée, où les descentes sont un peu sportives.

Mais une belle vue surplombante sur la rivière, personne sur les routes, et une même une portion dans la... forêt, incroyable après toutes ces terres arides et demi-désertiques parcourues ! Que demander de plus ?



Ouf, finalement le pont qui me permet de rejoindre progressivement la grande route, en longeant le cours d’eau Murgul: encore deux petites côtes, puis un tunnel miraculeux qui me fait arriver directement sur Borcka. Tant mieux, car j’ai vraiment besoin d’une bonne pause !


Dans le square où je fais ma pause pique-nique, 9 bancs, qui peu à peu se remplissent (que) d’hommes, plutôt d’âge mûr et bien ventrus. Au programme de ce dimanche après-midi, thé, beaucoup de clopes, et surtout grosse glande.

Pendant ce temps, les femmes doivent être à la maison à s’occuper des enfants, du ménage ou de la cuisine... Drôle de société !


Les hommes au square


Un aperçu de borcka, typique d’une ville turque: une belle mosquée, avec des bâtiments pas très beaux autour.


Aux abords d’Hopa, je trouve une route secondaire de l’autre côté de la rivière, où je trouve une campagne verdoyante mais aux maisons déglinguées, qui paraît bien pauvre. Mais les enfants qui traînent dans les villages ont l’air plutôt joyeux, lançant des grands “bisiklet” en me voyant.



A l’approche de la mer Noire, c’est tout vert


Une fois arrivée à Hopa, un petit coup d’œil sur la Mer Noire, avant que mon hôte warmshowers, Tuncay vienne me chercher.

Me voilà donc au niveau de la mer, alors qu’il y a peine trois jours, j’étais à 3600m, dans le massif du Kackar Dagi. La magie du voyage !



Comme d’habitude, je suis accueillie comme une reine par lui et sa sœur dans leur appartement et ils se plient en quatre pour moi: ça commence par une autre expérience culinaire, avec un dîner très copieux fait du poisson pêché par Tuncay dans la Mer Noire la veille.


Avec le dîner, du coca et Netflix, 2 symboles de la mondialisation dont je me serais bien passée. Les turcs boivent beaucoup de soda au dîner, et les jeunes turcs citadins sont tous fans de Netflix: au programme ce soir, le Master Chef où les cuisiniers en herbe cuisinent non pas du kébab... mais des sushis ! (nourriture d’ailleurs introuvable en Turquie).



Un tour en ville avec Tuncay, d’abord pour boire le cay; nous discutons, j’apprends notamment qu’il est athée, et me dit que seulement 10/12% des jeunes de sa génération sont croyants et pratiquants.

Puis, nous bougeons au bar pour voir un match de foot entre 2 équipes turques, car Tuncay est fan de foot. Bien sûr, j’ai eu le droit à la question habituelle de quel est mon équipe de foot préférée (alors que j’ai en horreur ce sport et que je m’en contrebalance), je dis toujours le PSG dans ce cas-la, tout le monde connaît. Je me fais piéger quand il me demande quel est mon joueur préféré de l’équipe... Euh...


Au bar, autour de bières, ça encourage fort les 2 équipes, le turc est sanguin, il faut s’exciter contre chaque hors-jeu et tentative de but. Tout ça pour un 0-0 à la fin !


Bien sûr, que des hommes dans le bar. Quand je veux faire un tour aux toilettes, on me dit non non, ce n’est que des toilettes pour hommes.

Je dois donc aller dans un restaurant à côté pour soulager ma vessie.

Encore une de ces journées où j’observe que l’égalité homme-femme a des progrès à faire en Turquie...

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